Emballé par un climat global hostile à l'observation interlocale de l'infiniment-ici, j'ai un soir rédigé ce texte en pensant peut-être l'adresser à l'auteur et unique contributeur d'un faux wiki sur les violoneux du massif central...
As-tu déjà
senti en toi, le ronron d'une mazurka battue au rythme équanime de ton coeur et
de ceux qui l'ont jouée avant toi ?
As-tu déjà
été bercé tout entier par la sensation de marcher dans la musique, sur les pas
de ceux qui t'ont précédé ?
As-tu déjà
ressenti l'envol de ton corps quand ton esprit se perd dans le balancier d'une
bourrée coulée, frottée à l'infini au creux d'un instant sans âge ?
C'est un monde avec ses histoires
de vie, ses routes, ses paysages, ses odeurs, ses récits de voyages et sa part
indissociable de vrai du faux, de rêve dans le réel et de trivial dans le
poétique.
La petite
musique d'Alfred Mouret si tortueuse, toute chargée des vifs ups and downs
d'une rude existence, m'a fasciné à l'âge de quatorze ans, lorsque je l'ai
découverte sur le CD "Modal", réalisé grâce à tout le temps qu'Olivier Durif a
passé à ses cotés. J'ai voulu savoir où elle se travaillait, j'ai voulu manger
de mes propres yeux le paysage qu'Alfred voyait tous les matins en ouvrant ses
volets, j'ai voulu sentir les parfums qui ordonnaient la symphonie ordinaire de
sa vie pour m'imprégner de cette musique.
J'y suis
allé, je me suis prostré devant la porte de sa petite masure, et j'ai entendu.
Pour la première fois de ma vie de façon si intense, j'ai entendu le paysage.
Des tintements faisaient ricocher l'espace, comme si la lumière avait choisi à
cet endroit la monture du son pour voyager d'un flanc de colline à un autre. La
banne d'ordanche au lointain : un phare, baignant, de sa sombre silhouette de
contes où il fait bon s'abriter des loups, tout un paysage en motifs de récits
possibles. La butte haute devant moi : un trompe-l'oreille. Comment te décrire
cet instant où le concert diffus des clarines docilement agitées par le cou de
vaches invisibles semblait absolument indissociable de la sculpture du paysage
tout entier ?
Comment
t'expliquer que ce jour là, j'ai attendu une heure assis en tailleur dans les
bruyères pour entendre un troupeau qui chantait à mon oreille depuis le versant
caché d'une montagne ?
Il faut que
je te dise, même si tu comprends pas, que le violon d'Alfred était là.
Il faut que
je te dise qu'il était dans le ciel et dans la terre à cet endroit, dans le
vol de la mouche, dans les cailloux du chemin, dans les brins de paille qui
séchaient au soleil.
Il faut que
je te dise que les chèvres bronzent sur le toit des tubes citroën dans ce
pays.
Il faut que
je te dise qu'à l'auberge de Picherande, on avait le choix entre une dizaine
d'entrées mais que le plat c'était langue de boeuf et que si t'aimes pas la
langue de boeuf, ben c'est langue de boeuf quand même.
Il faut que
je te dise ce que c'est que cette terre, que ces gens, que cette douleur
d'exister là bas.
Il faut que
je te dise ce que c'est un paysan agricole debout dans la boue
Il faut que
je te dise ce que c'est que se marier à une inconnue un soir de bistrot
Il faut que
je te dise ce que la lune est belle quand elle se pose dans les arbres, pour
les réconforter d'une journée passée à faire de l'ombre
Il faut que
je te dise comme ça saigne en gouttes sur la neige certains matins
Il faut que
je te dise comme ça pleure les jours de pluie
Il faut que
je te dise comme ça rigole le lendemain dans les ornières
Il faut que
je te dise ce que c'est que les sourires de la terre qui craquèlent le sol
quand il est content
Tout ça
c'est la musique d'Alfred, qui se perche sur de brefs sommets pour dévaler la
suite du pays à dos de tintements cosmiques de vaches cosmiques
Tout ça
déroule l'histoire que dans ce pays on dit en mouvement d'effusions qui
s'accrochent aux bords des sentiers de quoi
dévoiler des aventures nouvelles
Tout ça
déroule que dans ce pays on en a vu des histoires, on en a entendu des paysages
Tout ça dans
une bourrée d'Alfred, ça raconte l'histoire d'un monde qui n'est pas
wikipédiable
Tout ça, ça
raconte un grand point d'interrogation quand je clique et je reclique dans ce
grand bottin historique où les photos intimes sont placardées d'anecdotes
Un grand
point de suspension dans le rite initiatique
Un grand
point de coté qui bloque le coeur après avoir couru sous l'orage exalté
Faut que je
te dises qu'y a rien d'anecdotique là dedans
Que c'est
l'histoire de la vie.
Crois-y
Crois-y pas
L'important c'est que c'est vrai
Putain Wilton, t'es beau. Merci!
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