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La Bourrée de gré ou de force (Contribution d'E. Boussuge)
Comme une réponse à mon article sur le piédestal de la croix de Nébouzat, Emmanuel Boussuge, en parfait connaisseur du XVIIè siècle, vous propose un détour du coté de Paris, une lointaine île du Massif Central, "Territoire d'outre-Terre" favori des Auvergnats... où la Bourrée fut plus à la mode que nulle part ailleurs...
La Bourrée de gré ou de force (Paris, 1691)
Alors
comme ça, vous refusez de danser la bourrée ? C’est sans doute trop
rustique pour votre Haute Urbanité ? trop plouc pour votre Sérénissime
Snobisme ? ou trop stridant pour vos oreilles délicates ? A moins,
bien sûr que ce ne soit tout simplement trop ardu pour vos guibolles peu
exercées ? Enfin, peu importe car il s’agit maintenant de vous montrer
comment l’on doit procéder avec des récalcitrants de votre espèce. Ou plus
exactement, comment on a pu procéder car je vous emmène à la fin du XVIIe
siècle et la scène se passe à Paris – ce qui prouve bien au passage que, non,
la bourrée n’était pas exclusivement auvergnate à l’époque (même si elle est
déjà réputée venir du cœur du Massif Central, comme l’indique, par exemple, le
dictionnaire de Richelet dès 1680).
À
la manœuvre, nous trouvons deux habiles auteurs dramatiques du tournant du
XVIIIe siècle, restés au second rang des écrivains : Jean de Palaprat,
sieur de Bigot (1650-1721) et son complice David Augustin de Brueys
(1641-1723), deux provinciaux venus du Midi (tiens, tiens) tenter leur chance à
Paris. Les deux complices imaginent une comédie dont le héros ridicule serait
un grondeur, c’est-à-dire un homme
« bourru, chagrin et querelleur » par pur « tempérament ».
Ce tyran domestique sera M. Grichard, médecin de son état, qui martyrise sa
famille comme ses domestiques et qui, bien sûr, fait des ennuis à son fils
Terignan, dont il empêche le mariage avec la belle Clarice, qu’il entend bien
épouser lui-même. Pour corriger l’insupportable misanthrope, ou du moins
empêcher ses projets extravagants, tous les moyens sont bons. La douce Clarice
se contraint ainsi à devenir tyrannique à son tour car il faut décourager le
barbon impossible de prétendre à sa main. Elle exige donc du vieil homme,
incarnation de l’esprit de sérieux, qu’il apprenne la bourrée, « danse
gaie » par excellence comme le disent tous les dictionnaires, et donc
« de toutes les danses, celle [qu’il] hait le plus », évidemment.
Pour ce faire, Lolive (l’ancien valet de Grignard que celui-ci vient de
renvoyer parce qu’il le servait trop bien, et qu’il ne pouvait donc le semoncer
à sa guise) se déguise en maître à danser et se présente à son ancien patron sous
le nom de Rigaudon, non sans s’adjoindre un complice (Le Prévôt) armé d’un
violon mais aussi d’une épée. Grignard devra se plier aux caprices de Clarice
quoi qu’il en ait. Nous sommes à la scène XVIII de l’acte II et je vous laisse
déguster ce morceau de bravoure, qui correspond peut-être à l’apparition la
plus développée de la bourrée sur la scène théâtrale nationale :







Parmi les
nombreuses éditions du Grondeur, celle
reproduite ci-dessus a été imprimée au XVIIIe siècle (sans date sur
la page de titre) pour le libraire Briasson, un des libraires associés de l’Encyclopédie (p. 73-79). Sur Jean de
Palaprat, on pourra consulter Henry Franz, Palaprat,
son temps, ses œuvres, Paris, Jouve, 1916.
Emmanuel Boussuge
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