Un texte que j'ai rédigé pour l'Amta, fixant la problématique de la rencontre du Vendredi 10 Mars à Clermont-Ferrand, entre danseurs dits "traditionnels" et danseurs dits "contemporains". Il a servi de chemin de fer à la préparation de cette rencontre concoctée par Boom Structur'. Ce moment d'échange
aura lieu au Fotomat', siège de Boom Structur' (Boulevard Cote-Blatin, Clermont-Fd),
et sera accompagné de projections de films de collectage et d'un convivial
"bœuf musical".
Bourrées,
scottishs, polkas, mazurkas,
valses à Clermont aujourd'hui :
TRACES DE DANSE ?
valses à Clermont aujourd'hui :
TRACES DE DANSE ?

Or nous constatons un évitement de la
part les artistes français du spectacle vivant, qui globalement maintiennent
ces formes de danse populaire à l'écart de leurs champ d'inspiration ou leur
terrain d'expérimentation. L'analyse des raisons par lesquelles ce vide se fait
serait très longue et fastidieuse. Pour donner un éclairage partiel, on peut citer
un sentiment partagé dans l'inconscient collectif Français, selon lequel ses propres cultures
populaires, locales, vernaculaires, sont vécues comme d'autant entraves à l'élévation
sociale ou à l'émancipation intellectuelle. Le piétinement sacrificiel de l'héritage
local semble être en France le rite de passage au statut de citoyen du monde moderne.
Cependant, paradoxalement, le
phénomène de la globalisation fait émerger chez les individus des nécessités
d'acquisition de connaissances et de savoir-faire pour palier à un sentiment de
perte de repères. On assiste alors à un net regain d'intérêt pour ces cultures,
qui nichées dans les plis du quotidien, ont échappé à la marchandisation de
l'art et l'industrialisation des produits culturels : à l'abri d'une certaine
folie des grandeurs, fourmille le biotope des musiques et des danses de
territoires, recouvert par un paillage protecteur qui lui permet de faire
éclore faune et flore de pensées singulières et d'arts de vivres insoupçonnés.
Ainsi, ce que nous appelons
"Danses Traditionnelles", danses populaires héritées des anciens
aujourd'hui incarnées par le public nombreux des bals "folk" ou
"trad", correspond à un ensemble, un amas de Traces de Danses. Des traces
de danse glanées au fil de ces folles séances de "collectage" auxquelles
s'adonnent des poignées de passionnés -qui tentent à institutionnaliser leur pratique
depuis les années 1980-, permettant à des formes nouvelles d'émerger dans la logique
d'un écosystème culturel. Le fait de s'interroger sur leur présence et leur
signification à Clermont-Ferrand en 2017 nous permet de faire émerger une
problématique commune à la globalité des pratiques similaires en France.
TRACES de danses, parce qu'elles sont vestiges à
interpréter.
Rencontrer ces danses, par
l'observation ou directement par la pratique, au sein d'un rassemblement quel
qu'il soit et quel qu'en soit l'ambition première, nous laisse face à un
questionnement analogue à l'archéologie : ces traces dont il faut examiner la
symbolique, assimiler l'histoire, distinguer les spécificités et démasquer les
atavismes, sont ce que l'on pourrait nommer des témoignages crypto-chorégraphiques.
Ces danses sont des puzzles vivants, composés d'hypothèses et de fantasmes
successifs quant à leur origine, leur dénominateur commun ou l'exigence qu'elles
requièrent. Il s'agit véritablement de traces, parfois repassées au surligneur
tape-à-l'oeil de la pratique folklorique procédant par sophistication formelle,
raccourcis historiques et caricature; parfois effacées par des décennies
d'oublis et re-dessinés par l'un ou l'autre, qui se tenait d'un côté de
l'enregistreur ou de l'autre. Que l'on choisisse de danser telle ou telle forme
de ce qu'on appelle "la Bourrée", engendrée elle-même par un
millefeuilles de fonctions, on ne cessera de n'en livrer qu'une version parmi
toutes les autres. On en construit en quelque sorte son postulat personnel,
dépendant des contextes historique, social, idéologique et affectif dans
lesquels sa pratique a lieu.
Ainsi toute "authentique"
soit la bourrée que l'on pense traverser par sa pratique, elle demeure
absolument nouvelle et unique, et contient l'expression de la liberté de
création à l'intérieur même de sa reproduction mimétique.
TRACES de danses, parce que les incarner c'est
être sur les pas de ceux qui nous ont précédés.
Qui n'a jamais entendu ses parents,
ses grands parents, évoquer ces dancings aux parquets bosselés par les valses
et les étreintes des danseurs ? De grands destins se sont joués sur ces
quelques pas de danse, qui nous ré-enseignent sûrement le partage et le sens du
collectif, y compris dans les moments d'ivresse et d'exaltation dépouillés de
quelconques comportements protocolaires.
Le terme de traces exprime l'image
d'une empreinte, quelque chose que le passé a marqué dans le présent, quelque
chose d'extérieur à nous, qui viendrait signer nos actes comme pour dévoiler
leur appartenance à autre chose.
C'est cette notion d'appartenance
qui nous semble être mise en jeu dès lors que nous pratiquons ces danses. En
s'intéressant aux danses traditionnelles, la curiosité que l'on met à l'œuvre
entraîne la recherche du phénomène social, du groupe immémorial, le
rapprochement avec l'endogène inconnu, une once d'ADN qui se serait nichée au
creux d'une danse réinventée. De plus,
le sentiment d'appartenance déclenché par la danse brise l'illusion d'une
empreinte à sens unique : non seulement nous empruntons les sentes à
re-défricher de nos aïeux, mais en les défrichant, nous y apposons notre
empreinte même : celle qui résulte du contexte présent, de nos enjeux
personnels, mais aussi celle non négligeable de son corps. L'empreinte du corps
s'imprime dans la trace, comme la trace s'imprime sur son corps.
TRACES de danses, parce qu'elles tracent le chemin
vers l'autre.
Lorsque l'on interroge un ou une
habitué(e) des bals trad' sur les raisons qui le poussent à privilégier ce type
de soirée à n'importe quelle autre, les réponses les plus fréquentes mettent en
lumière le caractère intergénérationnel de ces moments. Effectivement, un
simple passage de dix minutes sur un parquet de bal trad' permet à quiconque
d'observer une stricte représentativité de tous les étages de la pyramide des
âges. Cette configuration très originale surprend les néophytes par ses allures
d'idéal social, qui prend aussi d'autres formes :
La connaissance des danses issues
de traditions locales, objets de la mémoire et de l'imaginaire collectifs de
son environnement géographique proche, nous enjoint dans le même temps à
reconnaître la beauté des danses d'ailleurs. Cette connaissance de sa propre
culture provoque une ouverture d'esprit et une rupture avec le mode de
consommation culturel global, qui consiste à se tourner vers des formes
validées par le plus grand nombre en dépit des spécificités précieuses qu'ont
développé les habitants des territoires qui composent la planète. L'UNESCO,
dans sa définition du Patrimoine Culturel Immatériel -qui recouvre les
pratiques de danse populaire-, insiste sur le fait qu'elles consistent en un
"facteur important du maintien de la diversité culturelle" et
qu'"avoir une connaissance du patrimoine culturel immatériel de différentes
communautés est utile au dialogue interculturel et encourage le respect
d’autres modes de vie". Le bal folk s'inscrit typiquement dans cette
démarche, puisque s'y produisent des artistes de toutes régions, apportant à
l'édifice du bal leur pierre taillée selon l'artisanat musical breton,
auvergnat, poitevin, berrichon, lyonnais...
Les Traces que forment ces danses nous invitent à
un mouvement de l'intérieur : "aller vers". Les populations de
l'humanité entière éprouvent le besoin de se représenter au monde, et elles le
font par la narration d'elles-mêmes à travers expressions musicales, récit, savoir-faire,
savoir-être, visions du monde... La danse permet de s'y adonner de façon
fondamentalement collective, tout en logeant dans sa construction une infinité
de démarches individuelles, de mouvements intimes de représentation au monde.
Quelque part, du corps au monde, se dessine
l'empreinte protéiforme de danses éternellement partagées.
Quelle forme
nouvelle l'année 2017 lui donnera-t-elle ?
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